Jour 4 - Özgur, le gardien du cimetière arménien

Créé le mercredi 16 avril 2014 17:59
 
 

 

14 jours à Diyarbakir - 14 photos d'Amed - 14 textes sur Tigranakert

Envoyé spécial de "Repair", MJM, journaliste français d'origine arménienne, a passé deux semaines dans l'actuelle capitale du sud-est anatolien, à Diyarbakir (Amed en kurde et Tigranakert en arménien) pour partir à la rencontre du passé, du présent et du futur des Arméniens qui étaient des milliers à peupler cette ville avant le Génocide de 1915. Au fur et à mesure de ses pérégrinations, MJM nous fait partager ses rencontres avec des lieux, des femmes, et des hommes dont l’histoire est liée, d’une façon ou d’une autre, avec les Arméniens.

Ce photoreportage date de mai 2013, certaines situations évoquées dans ces articles ont évoluées depuis.

 

Jour 4 - Özgur, le gardien du cimetière arménien

Près de la porte d’Urfa, se trouve le cimetière arménien de la ville. Cimetière est un trop grand mot pour ce qui ressemble plus à un jardin abandonné où gisent ça et là plus de 450 tombes défoncées, dépouillées de leurs ornements et dont les photos des défunts ont disparu. Tout est bel et bien mort ici, même l’herbe du sol tellement sèche qu’elle craque sous nos pieds. Un triste paysage qui me rappelle ces tombes arméniennes aperçues dans un champ perdu dans le district d’Arapgir au Dersim, loin des regards et à la merci de l’érosion.

On est loin du faste parfois absurde de certains cimetières arméniens comme celui, par exemple, de Noradouz, où s’étalent des milliers de khatchkars (croix de pierre) à perte de vue et où les familles dépensent des fortunes indécentes pour offrir la plus belle des sépultures à leurs morts. Une concurrence funéraire qui n’est pas de mise à Diyarbakir où les tombes ont été gravées à la hâte du nom de leur propriétaire. Pas d’alphabet arménien et très peu de patronymes finissant par ian. Les noms turcs sont privilégiés. L’identité arménienne est niée ou effacée jusque dans la mort… C’est dans ce cimetière qu’Aram Tigran, le célèbre chanteur et musicien arménien, aurait dû être enterré selon ses dernières volontés. Mais le ministère de l’Intérieur en a décidé autrement…

Özgur, le jeune gardien de 35 ans, footballeur et amateur de taekwondo, ne connaît pas vraiment l’histoire du cimetière, mais nous explique que sa famille veille dessus depuis au moins trois générations. « On n’arrivait à s’entendre avec personne dans le quartier, à part les propriétaires de cet endroit, des Arméniens qui étaient compréhensifs. Tous les musulmans nous insultaient et nous rejetaient » explique celui dont le grand-père a construit les murs qui protègent le cimetière. «Le lieu était beaucoup plus grand avant, mais il a rétréci encore et encore* et aujourd’hui, il ne reste plus que ce que vous voyez » explique Özgur qui assure que les membres de l’église souhaiteraient le voir remplacé. « Tous ceux qui fument du shit ou boivent de l’alcool viennent ici et personne d’autre que moi n’arriverait à leur résister et garder cet espace » assure-t-il tandis que son jeune fils chasse d’un simple sifflement un gamin qui tente de pénétrer dans le cimetière. Quand on lui demande s’il n’aurait pas, par hasard, des origines arméniennes - ce qui expliquerait les difficultés de sa famille à s’intégrer - il répond que oui. « Quoi qu’il arrive, on n’oublie jamais ses racines » résume cette force de la nature qui soulève devant moi une pierre magnifiquement gravée de plus de 150 kilos. « Si elle avait été moins lourde que ça, il y a longtemps qu’on l’aurait volée celle-là aussi ! » lance-t-il.


*De 20 000 m², le cimetière est passé à 1 000 m²
 



Journaliste et photographe freelance de 30 ans, MJM a travaillé pour divers journaux et magazines. Depuis quelques années, il développe également son regard à travers des reportages photo pour l’ONG "Yerkir Europe" en Arménie et en Turquie. Un aperçu de son travail est visible sur son site Internet, www.mjm-wordsandpics.com.