Points de vues de Turquie, d'Arménie et de la Diaspora
Traduction intégrale en turc, arménien, anglais et français
14 jours à Diyarbakir - 14 photos d'Amed - 14 textes sur Tigranakert
Envoyé spécial de "Repair", MJM, journaliste français d'origine arménienne, a passé deux semaines dans l'actuelle capitale du sud-est anatolien, à Diyarbakir (Amed en kurde et Tigranakert en arménien) pour partir à la rencontre du passé, du présent et du futur des Arméniens qui étaient des milliers à peupler cette ville avant le Génocide de 1915. Au fur et à mesure de ses pérégrinations, MJM nous fait partager ses rencontres avec des lieux, des femmes, et des hommes dont l’histoire est liée, d’une façon ou d’une autre, avec les Arméniens.
Ce photoreportage date de mai 2013, certaines situations évoquées dans ces articles ont évoluées depuis.
Jour 14 - Pourquoi pas ?
Voici un exemple plus positif de ce que peut devenir une maison ayant appartenu à une famille arménienne à Diyarbakir. Celle-ci, construite en 1919 et située dans le quartier d’Ali Pacha – quartier composé essentiellement de maisons anciennes et de gecekondu* - a appartenu à un couple sans enfants qui avait conclu une sorte de marché avec des Kurdes. Ces derniers veillaient sur lui jusqu’à sa mort et une fois passé de vie à trépas, la maison leur appartiendrait. On ne sait malheureusement rien de ce couple et leur souvenir s’en est allé en même temps que les heureux propriétaires kurdes qui ont fini par revendre la demeure et quitter la ville.
Désormais, c’est au collectif Suluku Han qu’elle appartient. Ce groupe d’une vingtaine d’amis intellos a pour projet de rénover les lieux et d’en faire une sorte de Maison de la jeunesse de Diyarbakir, un lieu unique en son genre qui accueillerait une soixantaine de jeunes du quartier. « Au départ, on souhaitait par exemple donner des cours de philosophie aux enfants, ce genre de choses. Mais il s’agit de jeunes qui vendent de la drogue ou qui en consomment, qui ont des couteaux dans la main » explique Gülder, une jeune architecte francophone de 24 ans qui travaille sur le projet. « On ne peut pas casser leurs habitudes d’un seul coup, mais peut-être que l’on peut transformer ce couteau en un autre instrument. En faire un outil pour faire de la sculpture par exemple » développe celle qui rêve de voir les enfants changer de vie grâce à la structure.
« En Turquie, on dit des Arméniens qu’ils ont l’art de la main. Je pense que c’est génétique chez eux ! Ils ont façonné de vrais bijoux et ont pratiqué leur art à même la pierre, sur le basalte. Quand on voit tous ces décors dans la maison, on pense à eux » assure Gülder qui est chef de chantier sur le projet. Cette dernière déplore toutes ces restaurations entreprises à la va vite à Diyarbakir, à grands renforts de béton armé et sans aucun respect pour les normes anciennes de construction. Rien à voir avec son chantier, pensé en amont par des architectes soucieux de l’histoire des lieux et où quelques ouvriers s’affairent ça et là. La toiture est presque finie et un énorme trou destiné aux fondations d’un nouveau bâtiment a été creusé côté rue. La fin des travaux est prévue pour septembre, mais d’ici là, le collectif travaille tous les jours, dimanche compris, pour être dans les temps. « Cet hiver, on avait fait un feu et on creusait la nuit » raconte Gülder qui a déjà sa petite idée du nom qu’elle aimerait donner à ce lieu atypique. « On n’a pas encore de nom, mais moi je souhaite l’appeler « Pourquoi pas ? » Car on ne pense jamais que ces enfants puissent produire quelque chose et bénéficier d’une certaine éducation, alors que pourquoi pas ? » conclut-elle.
*Maison des bidonvilles turcs, littéralement « elle s’est posée cette nuit ».
Journaliste et photographe freelance de 30 ans, MJM a travaillé pour divers journaux et magazines. Depuis quelques années, il développe également son regard à travers des reportages photo pour l’ONG "Yerkir Europe" en Arménie et en Turquie. Un aperçu de son travail est visible sur son site Internet, www.mjm-wordsandpics.com.