Points de vues de Turquie, d'Arménie et de la Diaspora
Traduction intégrale en turc, arménien, anglais et français
14 jours à Diyarbakir - 14 photos d'Amed - 14 textes sur Tigranakert
Envoyé spécial de "Repair", MJM, journaliste français d'origine arménienne, a passé deux semaines dans l'actuelle capitale du sud-est anatolien, à Diyarbakir (Amed en kurde et Tigranakert en arménien) pour partir à la rencontre du passé, du présent et du futur des Arméniens qui étaient des milliers à peupler cette ville avant le Génocide de 1915. Au fur et à mesure de ses pérégrinations, MJM nous fait partager ses rencontres avec des lieux, des femmes, et des hommes dont l’histoire est liée, d’une façon ou d’une autre, avec les Arméniens.
Ce photoreportage date de mai 2013, certaines situations évoquées dans ces articles ont évoluées depuis.
Jour 8 - Chez Sarkis et Baïzar
Après le déjeuner à Sourp Guiragos, une partie des convives se retrouve à l’église assyrienne de la Vierge Marie. C’est là qu’habite le plus vieux couple d’Arméniens de la ville, Sarkis et Baïzar, 83 et 85 ans. Lors de ma rencontre avec Abdullah Demirbaş, le maire de la municipalité de Sur, celui-ci m’avait expliqué : « Au début de mon premier mandat, seules deux personnes disaient ouvertement qu’elles étaient arméniennes à Diyarbakir ». Ces deux impertinents ne sont autres que Sarkis et Baïzar que les Assyriens ont installés dans leur église après le départ des derniers membres de la communauté il y a 26 ans. Depuis, ce sont eux qui veillent sur ce lieu de culte. Le couple s’est marié il y a 64 ans à Sourp Guiragos dans la petite église attenante au bâtiment principal qui appartenait à l’Etat à cette époque. L’un des tout derniers mariages à y être célébré !
Dans la pièce, nous sommes une quinzaine réunie pour boire le café. L’atmosphère conviviale et détendue est propice à la conversation et les histoires personnelles se racontent plus facilement. Dans le brouhaha des discussions qui fusent ça et là, une dame originaire de Silvan, accompagnée de sa mère, pleure doucement en évoquant la mort de son mari, tué par le Hezbollah en 1992. « A Silvan, il reste quelques maisons de dömnes* et on nous reproche aujourd’hui encore d’être des non musulmans. Des gens habitent en ce moment-même sur mes terres, mais qu’est-ce que je peux bien y faire ? La tombe de mon mari est là-bas, tout est là-bas. Je ne peux pas m’en aller » raconte-t-elle d’une voix étrange et très douce qui, dans un élan de colère, traitera plus tard les Kurdes de tous les noms d’oiseaux.
Une grande émotion emplit soudainement la pièce lorsque Arminé** nous parle de son père. Un homme qu’elle semble chérir plus que tout au monde et qui lui a transmis son arménité. « Peu avant sa mort en 2007, papa a commencé à oublier le turc, puis il a oublié le kurde. A la fin, il ne parlait plus qu’arménien. Il nous demandait du pain en arménien, il nous parlait dans une langue que nous ne comprenions pas » se remémore en pleurs cette femme d’une quarantaine d’années qui assiste avec assiduité aux cours d’arménien de Kévork. « On ne pouvait même pas lui répondre. Alors maintenant, une lettre, un mot que j’apprends, je le répète mille fois. J’ai vraiment envie d’apprendre l’arménien » assure celle qui a fait baptiser en secret sa fille à Sourp Guiragos en 1984. Il s’agit là du tout dernier baptême qui aura lieu au sein de l’église avant sa rénovation. Pour la petite histoire, il faut savoir qu’Arminé fait partie des premières personnes baptisées en 2012 et que son fils a été le premier à se marier dans l’église rénovée avec… une Hayastantsi (Arménienne d'Arménie).
*convertis.
**Le prénom a été modifié
Journaliste et photographe freelance de 30 ans, MJM a travaillé pour divers journaux et magazines. Depuis quelques années, il développe également son regard à travers des reportages photo pour l’ONG "Yerkir Europe" en Arménie et en Turquie. Un aperçu de son travail est visible sur son site Internet, www.mjm-wordsandpics.com.